Invitation à Eumène de Cardie

En homme moderne, le baron Eumène de Cardie, professeur à l'université d'Allancia, n'aimait pas devoir dépendre d'un chauffeur pour ses déplacements. Son domicile d'Allancia, une belle demeure bourgeoise datant du siècle précédent, était équipé de tout le confort moderne et notamment d'un garage où Eumène gardait son tricycle, lequel restait son moyen de transport favori dans la ville et dans les alentours.

Mais pour aller rencontrer l'Empereur il se devait de faire bonne impression et ne pouvait se permettre d'arriver sale ou même simplement décoiffé. C'est donc à bord de sa Minerva qu'il se rendit au palais...

On fit patienter quelques instants l'illustre professeur dans un petit salon attenant à la bibliothèque du palais. Sa Majesté Impériale terminait une réunion sur la reconstruction de l'Alémanie avec l'ambassadeur du petit royaume vassal.
Après une demi-heure, le même homme revint dans le salon, le traversa et entra dans la bibliothèque. Eumène regarda à peine passer l'homme et imperturbablement se replongea dans sa lecture.
Cinq minutes s'écoulèrent quand il revint et pria le savant homme d'entrer dans la bibliothèque.
Selon l'habitude, les Empereurs recevaient plutôt leurs hôtes dans le bureau, mais Philippe avait jugé plus intéressant de recevoir le professeur de Cardie dans la bibliothèque du Palais.


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Rangeant dans sa poche le petit volume qu'il lisait jusque là, Eumène suivi les instructions qui lui avaient été données. La lecture de cette édition de poche du De Rei Angmarii avait un peu fait baisser le stress provoqué par l'idée de rencontrer le souverain, et lui avait fait penser à quelques nouvelles idées sur la politique diplomatique de l'Empire de Persis à la veille de l'avènement de Bryaxis Ier. Certes il avait lu dans les sources persiennes que la guerre civile n'avait été menée qu'avec les forces rassemblées par l'ioniapersien en Athys, mais n'aurait-il pas bénéficié dés cette époque d'une aide angmarienne ou même zollernoise ? Une intéressante possibilité qui contribuerait à expliquer la fulgurance de la progression des forces bryaxiennes... Quoique peut-être que la défaite des forces envoyées par l'Empereur Noir à la bataille d'Ysforge l'avait réellement fortement affaibli ?

Pénétrant dans la bibliothèque, Eumène entendit le majordome prononcer son nom : "Votre Altesse voici le Eumène Alcibiade Louis baron de Cardie, commandant honoraire du second régiment de la troisième brigade du premier bataillon de la première division de Fransie, professeur titulaire de première classe de l'Université d'Allancia, détenteur de la Chaire d'Histoire Micromondiale Charles de Traceau"

A cinq pas du bureau impérial Eumène s'arrêta et s'inclina respectueusement face à son souverain. On ne parlait jamais le premier à l'Empereur, l'Empereur s'adressait à vous.

L'Empereur Philippe releva sa tête, encore plongée dans la lecture d'un manuscrit à l'entrée de l'éminent savant.

- Monsieur le Baron, nous sommes en joie de voir que vous avez pu répondre présent à notre invitation.
Asseyez-vous, s'il vous plait, nous pensons que la discussion pourrait être longue.
Il eut un petit rire
Nous entendons encore l'Impératrice nous dire ce matin que ma volonté de vous rencontrer tient de la lubie, de la fantaisie. L'Impératrice n'a pas comme nous d'intérêt pour cette brillante civilisation que fut Persis.
Nous avons du lire à peut près tout ce qui a été écrit sur cette nation, notamment votre oeuvre scientifique. Nous avons parfois l'impression d'en avoir fait nous même partie. Nous aimerions vous montrer, mais plus tard, rien ne presse, quelque chose dont nous venons de faire l'acquisition pour une somme modique si l'on considère la qualité de la pièce.
Eumène tenta discrètement de voir ce dont il s'agissait. Il était évident que ce dont l'Empereur parlait se trouvait sur la table.
Mais avant toute chose, Professeur, selon vous que peuvent nous apporter les récentes découvertes en Persis?

Votre Altesse, je suis honoré par l'intérêt que vous portez à mes modestes travaux... Pour répondre à votre question, je dirais que le gain potentiel que l'on peut espérer tirer de l'étude de la Persis est de deux natures.

Il y a d'abord, bien entendu, la gloire que l'Empire peut légitimement retirer d'une aussi noble entreprise que l'étude d'une civilisation disparue. C'est par Edoran avant tout que la Persis renait aux yeux du monde, c'est en Edoran que se retrouvent les savants que toutes les autres nations envient, c'est en Edoran que se tiennent les colloques les plus prestigieux, que sont édités les ouvrages les plus remarquables. Et cela se sait, et cela est source d'envie et même, oserais-je dire, de jalousie en d'autres nations.

Mais votre Altesse entends peut-être parler de bénéfices plus... ah... tangibles, voir même monnayables ? En ce cas Persis peut là encore nous assister. Nous savons que cette société, malgré certains aspects primitifs de son organisation sociale, religieuse et politique, était en avance sur beaucoup d'aspects dont le moindre n'est pas le plan technologique.

J'ai moi-même eu la chance extraordinaire de voir une projection semblable aux cinématographes que l'on commence à voir dans l'Empire, mais un cinématographe ici en couleur, projeté dans l'espace même de la pièce de visualisation et non sur un écran... Et l'on connait par les descriptions de la guerre de Karkor l'existence d'armes sans équivalent, notamment dans le domaine aérien ou dans celui des armes non léthales, je songe ici aux bombes à colle ou aux lances électrocutantes des hoplites...

Bien sur leur médecine était aussi avancée, particulièrement la pharmacopée de Xylopersis, mais leur technologie la plus impressionnante fut sans doute celle de leur canon spatial capable d'envoyer des objets au-delà des nuages... On a parlé d'appareils photographiques et de caméras, on a même parlé d'êtres humains même s'il n'est pas clair que des hommes aient jamais été envoyés en orbite...

L'Empereur écoutait avec attention le discours du professeur.
- Formidable !! Tout ce que vous nous racontez est tout simplement formidable et nous ne parlons pas que des technologies. Cet Empire fut une vraie merveille à n'en pas douter. Nous souhaitons que nos universités enseignent l'histoire et la culture de l'Empire de Persis. Cela nous semble important. Tant mieux si c'est notre saint-Empire qui se fait le héraut de cette glorieuse nation.
Mais approchez donc et venez voir ce dont nous avons fait l'acquisition :

il s'agissait de très nombreux feuillets écrits sur cette matière très persienne dont l'Empereur ne retenait jamais le nom.
Eumène s'approcha et rapidement, survolant le premier texte il comprit ce dont il s'agissait :
- Ce serait donc vrai, vous avez fait l'acquisition de...
- La correspondance de Démosthène de Proconèse, patricien de Xylopersis. Après votre passage en Persis, des pilleurs ont commencé à comprendre l'intérêt de la Persis. Sur de nombreux marchés d'art et d'antiquité à travers le micromonde, des pièces archéologiques sont vendues. Aucune réglementation n'interdisant cela, tout est fait au grand jour. Nous avons chargé une petite cellule qui ne répond qu'à moi, ne dépend que de moi - même notre bon Philibert en ignore l'existence - de repérer les pièces les plus remarquables et nous tentons d'en faire l'acquisition, souvent en les achetant et quand ce n'est pas possible en faisant comprendre quel est l'intérêt réel du possesseur... L'empereur eut un petit sourire.
L'Histoire de Persis et notamment du plus prestigieux de ses empereurs Bryaxis Hécatée Pallasalexandride nous ont toujours passionné. Sa mort, par empoisonnement si nous ne nous trompons pas, n'a jamais été réellement élucidée. Les poisons étant la spécialité de la Xylopersis, cette correspondance pourrait nous en apprendre plus. Si ce ne devait pas être le cas, l'intérêt d'une telle littérature est indéniable.

Encore une chose, nous'allions l'oublier.
Il fouilla un peu dans sa serviette
Nous avons reçu cette lettre de M. Reklus, notre éminent botaniste. Il nous fait savoir dans une lettre sur son expédition en Terre du Roi Henri qu'il a remis sa démission au Chancelier. Son poste de recteur l'empêche d'être sur le terrain et il estime que le poste n'est pas compatible avec certaines de ces convictions. Nous avons pensé à vous pour ce poste. Nous sommes certains que le chancelier ne verra pas d'opposition à votre candidature au poste de recteur de l'Université d'Allancia. Si toutefois vous acceptiez ce poste à hautes responsabilités

Eumène était plongé dans la lettre et ne prêtait qu'une oreille distante au propos impérial. Même la proposition de le nommer recteur ne le sortit pas de sa concentration. Dans le silence qui suivi les derniers mots de l'Empereur, le savant leva la tête :

"Votre Altesse, je ne sais pas qui vous a vendu ce document. C'est un ignare qui a reconnu le signe d'une des anciennes familles xylopersienne, mais ce n'est pas un courrier de Démosthène de Proconèse. Ce document est la preuve d'un complot autrement plus sinistre... Un Pombal aurait comploté contre la vie de Bryaxis Ier de peur que l'Empereur ne s'intéresse de trop près à certaines actions menées secrètement par cette famille, et notamment des actes en EDAY... Un chercheur d'un laboratoire xylopersien fut alors contacté pour trouver une solution radicale... Les textes ont toujours parlé de poison pour évoquer la fin de l'empereur, mais c'est une chose très différente qui l'a tué : un virus. Une arme biologique. Aucune nation de notre micromonde actuel ne semble avoir développé une telle capacité, mais le simple fait que l'on ait pu il y a longtemps créer une maladie et... J'en frissonne votre Altesse ! Surtout j'espère que ce savoir a bien disparu et que la possibilité de créer de telles armes restera à jamais secrète... "

Il secoua la tête puis se rappela ce qu'il venait d'entendre. "Prendre la place du Professeur Reklus ? Votre Altesse, c'est là un grand honneur que vous me faites, mais en suis-je vraiment digne ? Suis-je vraiment l'homme qu'il faut pour orienter la recherche de notre nation et contribuer à son développement scientifique, à son avenir même ?"

Ce que vous nous raconter là est bien mystérieux. Notre connaissance de la langue persienne est nulle. Elle ne fait pas partie du bagage culturel des princes édoranais. Qu'en est-il des autres lettres, il y en a plus d'une centaine.

"Et bien, votre Altesse, je note qu'elles ont en réalité des origines diverses... Si votre Altesse veut bien comparer les écritures, on constate clairement que certaines sont plus régulières que d'autres, et que si il en est qui montrent la dextérité d'un scribe de chancellerie, le reste semble être le fait de mains moins exercées et moins lettrées... Si je prend celle-ci, au hasard... Hum, je n'ai jamais rencontré de document de ce type mais a priori c'est un reçu, peut-être un reçu de taxe ou un bon de livraison, daté de la deuxième année de l'Empereur Julius-Niklaus... Ou encore ce document, c'est une demande d'une femme pour que le dikarque local poursuive un individu pour le vol d'un... je ne connais pas ce mot... mais en tout cas c'est clairement une pétition judiciaire. Votre Altesse, je pense que votre agent s'est fait vendre un lot de documents ramassés au hasard et il est surprenant et fort positif que le premier d'entre eux ait une telle valeur historique ! Tous nous seront précieux pour redonner vie à cet univers, mais chacun apportera une pierre d'une valeur différente."

- Monsieur le professeur merci beaucoup. Nous ne pouvons que vous confiez les documents. Ils seront dans de meilleures mains qu'ici.
Nous espérons que chaque université édoranaise dispensera des cours sur cette grande nation.

Comprenant qu'il s'agissait là de la fin de son entrevue avec le chef de l'état, Eumène remercia l'Empereur et prit le somptueux marocain de cuir travaillé contenant les antiques documents. Sortant à reculons comme le demandait le protocole, il s'inclina une dernière fois avant que le majordome impérial ne ferme les portes du bureau et ne le conduise à son véhicule.

Eumène de Cardie prit un papier avait prit un papier à entête du rectorat et sa plus belle plume. Une telle lettre ne pouvait être confiée à un secrétaire.

"A l'attention de son Altesse Impériale Philippe Ier d'Edoran,

Votre Altesse,

Vous nous avez récemment fait l'honneur d'une audience au cours de laquelle vous nous avez confié à fin d'étude certains documents issus du marché de l'art et provenant de sources diverses et variées de l'Empire de Persis.

Certains de ces documents se sont révélés cruciaux pour la compréhension que nous pouvons avoir du fonctionnement de cette antique civilisation, une excellence nouvelle dont nous ne pouvons que nous réjouir.

Cependant j'eu également la surprise de découvrir dans ces documents des références au Saint Empire d'Edoran. Issus d'une période connue sous le nom de post-apocalyptique persienne, ces documents mentionnent une expédition qu'auraient menés des Persiens pour sauver ce qui pouvait l'être de leur civilisation.

Embarquant à bord d'une petite flottille conduite par un officiel du nom d'Agesilaos Archais, cette flotte aurait fait voile pour l'occident et jeté l'encre dans la baie d'une ville connue sous le nom de Luxifera, une dérivation évidente du nom de Lucéra. Ils y auraient signé un accord avec votre prédécesseur afin d'établir une colonie isolée et cachée du reste du monde, y préservant leurs traditions et, dans la mesure du possible, leurs savoirs.

Votre Altesse, je vous avouerais craindre de révéler un secret de notre Empire en révélant pareille information au grand public, et je me demande si Votre Altesse aurait des informations quant à une éventuelle survie de ces colons sous la protection du Saint Empire...

Dans l'espoir d'une bienveillante réponse de votre part, ..."

Le Comte Pacôme Hégésippe Adélard Ladislas de Champignac avait fait des recherches pour le compte de Sa Majesté Impériale aux sujets de Persiens arrivés en Fransie.

Professeur,

Nous avons fait quelques recherches sur votre requête. Nous avons retrouvé dans la documentation et les archives personnelles de feue Sa Majesté Impériale une série de traces de cette colonies.
Nous vous les faisons parvenir avec cette lettre. En espérant qu'ils vous aideront au mieux dans vos recherches.

Pacôme Hégésippe Adélard Ladislas Comte de Champignac

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