Un nouveau recteur

Le petit monde du rectorat de l'Université d'Allancia était en ébulition. Le décret impérial portant signature du ministre Carnavon et nommant le professeur de Cardie recteur en lieu et place du professeur Rekluz avait surpris beaucoup de monde. Certes le professeur de Cardie avait acquis un certain renom durant l'expédition Grobide et Jolypif, mais il n'en était pas l'instigateur et n'était qu'un membre secondaire de l'équipée en Persis...

Surtout le choix semblait surprenant au vu des priorités scientifiques de l'état, qui étaient fort loin du domaine de recherche du professeur de Cardie : qui donc s'intéressait à l'histoire micromondiale alors que chaque jour des ingénieurs inventaient des machines toujours plus surprenantes ?

Outre les questions de politique interne de l'université c'était surtout le fonctionnement du professeur qui inquiétait le petit personnel comme les enseignants et les chercheurs : serait-il tyrannique ? Travaillerait-il et ferait-il travailler comme un forçat Krasslandais ? Saurait-il faire face aux enjeux de la recherche en cet an 1922 ?

C'est d'un pas assuré que le professeur Eumène de Cardie pénétra dans les bureaux du rectorat. Semblant connaître son chemin, il se dirigea sans hésiter vers le bureau du recteur, une véritable suite comprenant le bureau de ses trois secrétaires, une antichambre, une pièce sanitaire, son bureau personnel et une salle de réunion.

En pénétrant dans le secrétariat il salua les deux hommes et la femme présents de leur noms respectifs et se présenta à eux : ils ne le connaissaient en effet pas, mais lui avait prit soin de se renseigner sur leurs noms auprès de la secrétaire du département d'histoire micromondiale.

Il leur indiqua qu'il les réunirait dans le courant de la journée mais qu'il souhaitait tout d'abord prendre ses quartiers dans son nouveau bureau. Madame Mireille Stenoz lui ouvrit la porte et lui expliqua que son prédécesseur avait déjà emporté ses affaires. Elle lui indiqua aussi que le professeur Rekluz était déjà parti en expédition dans la jungle Arsgentyne, ce qui le rendrait injoignable pour un moment.

A ces mots Eumène fronça les sourcils, qu'il avait fort fournis, mais ne dit rien. Il aurait aimé discuter avec son prédécesseur de l'état de l'université, mais les circonstances étaient telles qu'il ne saurait le faire. "Pourquoi râler contre une situation que l'on ne peut changer" songea-t-il. Il nota une enveloppe posée bien en vue sur le sous-main du bureau.

S'en emparant il lu : "A mon successeur". Au moins le professeur Rekluz avait-il songé à lui transmettre quelques informations. Mais cela ne remplacerait pas une cérémonie formelle rassemblant l'ensemble de la communauté universitaire et marquant de manière tangible la transition du pouvoir...

Eumène s'installa dans le fauteuil rectoral et se tourna vers madame Stenoz qui attendait près de la porte : "Je vous remercie, madame Stenoz. Auriez vous simplement l'obligeance de me faire apporter un thé ? J'ai ici un document à lire et je souhaites en prendre connaissance avant l'arrivée des chefs de département, prévue à onze heure. A midi et demi nous irons, eux et moi, manger au restaurant "Le dél'Ys". Je devrais rentrer vers treize heure trente, heure à laquelle mes affaires devraient avoir été livrées. A quinze heure je verrais l'équipe du secrétariat et à quinze heure trente je souhaiterais une réunion de tout le personnel du rectorat, je vous serais donc gré de prendre les disposition nécessaires. Ce sera tout."

D'un signe de tête il remercia la secrétaire qui comprit qu'elle était congédiée. Fermant la porte derrière elle, elle laissa le professeur seul face au document rédigé par son prédécesseur. Ce nouveau recteur semblait être du genre travailleur...

Un visiteur vint prendre rendez-vous avec le nouveau recteur. Philibert Carnavon alla à la rencontre de la secrétaire afin de connaître les dispositions du recteur de l'université d'Allancia.

Le jour convenu, le recteur De Cardie attendit son visiteur dans son bureau de l'université.


Cependant, pour ne pas perdre de temps, il se plongea dans la rédaction d'une lettre à l'Empereur. Soudain il fut interrompu par le bruit de sa secrétaire frappant à la porte : "Monsieur le Chancellier Carnavon est arrivé, monsieur le Recteur."

Se levant, Eumène répondit : "Faites le entrer, merci, madame Stenoz."

Philibert entra dans le splendide bureau, salua le recteur comme il convenait de le faire et attendit.

Votre Excellence, c'est un honneur pour moi et toute l'Université que de vous accueillir dans les murs de notre auguste institution. Que pouvons nous faire pour un pair de l'Empire et pour notre nation ?

Philibert était quelque peu gêné. S'étant installé dans un très agréable siège face au Baron de Cardie, il commença :
- Monsieur le recteur, nous n'irons pas par quatre chemins. Vous êtes au courant que les élections ont eu lieu et que notre parti n'est pas resorti aussi fringant qu'il l'était avant le scrutin. Depuis longtemps nous y songeons et ces élections sont pour nous le signal. Nous sommes désormais assurés que la charge ministérielle n'est plus pour nous. Nous avons assumé longtemps des charges au sommet de l'état et il est temps pour nous de laisser ces places à d'autres. Nous ne comptons pas quitter l'UC mais nous aimerions nous consacré à nos autres amours, la littérature. Vous l'ignorez peut être mais nous sommes titulaire d'un doctorat en cette université. Nous sommes spécialisé en littérature micromondiale, nous avions étudié principalement les apports des légendes alémaniennes dans la littérature édoranaise, mais, et cela vous intéressera sans doute plus, notre premier véritable travail scientifique portait sur Agathos de Proconèse, auteur d'une épopée xylopersienne. Après ce long préambule, venons en au fait proprement dit : nous souhaiterions, si cela est possible évidemment, réintégrer l'université d'Allancia où nous avions débuté voilà près de 25 ans. Nous ne souhaitons aucun traitement de faveurs sous le prétexte d'une quelconque appartenance à la noblesse ou du fait de notre ancienne fonction de chancelier.

Eumène de Cardie sourit en entendant le propos du Chancelier. Prenant une farde sur son bureau, il en tira une première feuille et la passa à Philibert : "Comme vous le voyez j'ai connaissance de votre passé d'Alumni de notre maison. Une de mes premières tâches fut en effet de rassembler les dossiers de ceux des plus illustres politiciens de notre nation que l'Université d'Allancia eut le privilège de former. Après tout le devoir d'un recteur est parfois d'aller demander l'aide des autorités et nous préférions savoir sur qui compter..."

Sortant un document de quelques pages manuscrites hors du classeur, il les tendit également à son interlocuteur "J'ai par ailleurs lu votre travail sur l'ancêtre de Démosthène, le politicien de l'ère de Bryaxis le Grand, un travail des plus intéressants même si certains documents récemment exhumés invitent à en réexaminer certaines parties. Pour ce qui est de votre demande, il s'avère que le professeur Xénophile Lovegood, que vous avez sans doute connu à l'époque où il était assistant et vous étudiant, Xénophile donc va prendre prochainement sa retraite de la chaire de littérature edoranne. La commission chargée d'examiner sa succession n'a pas encore été réunie, mais je ne doute pas que votre dossier y serait examiné avec la plus grande attention. Le doyen de la faculté de lettres me disait récemment désespérer de trouver un remplaçant digne pour lui succéder, mais je ne doute pas qu'un homme tel que vous puisse au contraire accroître encore le prestige de ce département central de notre université !"

Philibert répondit un petit sourire aux lèvres,
Monsieur le recteur nous sommes ravis de vous entendre. Le Professeur Lovegood sera néanmoins difficile à remplacer. Et concernant notre travail, effectivement certains points sont à revoir et notre retrait de la haute politique nous laissera, quel que soit notre avenir, la possibilité d'y retravailler.