Lettre au président du Parti impérial

Samedi 3 août 1923

Monsieur le Président,
Comte,

« En Edoran, la terre, elle, ne ment pas ». C'est par ces mots que feu le prince de Heirmrichzhaffen mon grand-père introduisit le conte, qu'il me fit, des quelques années qu'il passa en Edoran, au service de l'Empereur et de son pays. Ministre de l'Intérieur, introduit par le duc de Clermont à l'Académie, fort ami du prince de Freshville, le prince Ezéchias, quoiqu'il n'ait pu y demeurer, a gardé dans son cœur le souvenir émouvant et éclatant des plaines de Chiron.

Ma famille, monsieur le Comte, n'est point de sang édorannaise ; elle est avaroise, exilée en Özterreich-Zungarie, trop longtemps, hélas. Mais elle est noble avant tout, et un cœur noble, cher comte, est un cœur qui sait aimer les réalités charnelles, et redouter les inventions modernes des cerveaux malades et dégénérés qui produisent les idées adventices responsables de la décadence des contrées. La Tradition, la Patrie, la Famille, le Travail, et surtout la Monarchie : voilà les piliers fermes, durs et stables qui produisent l'Ordre et l'Autorité, qui permettent tout, et sans lesquels, rien n'est plus, sinon le chaos et l'anarchie. Et s'il est une terre qui appelle tous les suffrages pour y voir s'épanouir un si beau projet, cher comte, vous le savez mieux que moi, c'est Edoran. Et pourtant, je veux le savoir aussi bien que vous, car mon amour de l'Empire est à présent immarcescible.

Aussi, monsieur le comte, parce qu'il faut lutter contre le complot serf-charpentier, contre la clique marksiste, contre la mollesse inhérente au centrisme, j'ai l'honneur de vous demander mon adhésion au Parti impérial.

Je vous prie de croire, monsieur le comte, à l'assurance de ma considération,

Charles-Nemrod de Fleury-Heimrichzhaffen

Votre Altesse,

Il est moins question de sang édoranais que de valeurs édoranaises. Le Parti Impérial est fier de ne pas ressembler à ces groupuscules régionalistes qui ne voient pas plus loin que le bout de leurs villages et rejettent l'idée grandiose d'Empire et de nation. Nous serions heureux et honorés de compter un éminent membre de la noblesse tel que vous en notre sein.
Soyez assurés que seul le Parti Impérial peut se vanter de ne compter en ses rangs aucun markistes ni aucun charpentiers, ces sangsues qui sapent chaque jour, un peu plus, les bases de notre glorieux empire.

Veuillez croire Excellence, à l'assurance de mes sentiments distingués.

Edme-Patrice de Villeurban de Chalent

Cher Comte,

Votre lettre m'a causé le plus grand plaisir. Sachez donc que je me mets dès à présent à votre service, à celui du Parti impérial pour rendre à l'Empire son lustre et sa puissance émoussés par trop d'apathie modérantiste. Il faut rendre au palais impériaux leur lustre de naguère, y restaurer l'éclat des ors fanés et la beauté céruléenne de leurs voûtes centenaires. Je me tiens donc à votre disposition pour en expulser ceux-là qui se disent surpris de voir notre pays sous la menace du sort funeste des armes. Ceux-là mêmes dont c'était le devoir de prévoir et de protéger. Ceux-là mêmes dont c'était l'urgence de rabrouer des ennemis trop fiers.

Je battais hier la campagne, cher Comte, près de Lestreps où j'ai résolu de résider. Le vrai peuple d'Edoran y est, cher Comte, acquis au Parti au impérial parce qu'ils aiment trop l'Empereur pour le voir abandonné au jeu hasardeux de la petite politique. Et c'est dans ces plaines, ces vallons, ces bois, ces ruisseaux, ces hameaux qu'on ressent toute l'énergie nationale qui est la nôtre. Cette énergie nous vient de la patrie ; elle nous vient de la terre et des morts. Sachons nous montrer dignes d'eux !

Je vous prie de croire, cher Comte, à l'assurance de mes sentiments édoranais.

Charles-Nemrod de Fleury-Heimrichzhaffen