Réception de Charles-Nemrod zu Windischgrätz à l'Académie

C’est en grand habit d’académicien que le marquis zu Windischgrätz se présenta sous la fameuse coupole triangulaire de l’Académie édoranaise des arts et des lettres. Il venait officiellement prononcer son discours de réception, et recevoir le marteau et l’enclume, signes de sa nouvelle fonction. Plus pâle qu’à l’accoutumée, soutenu par l’un de ses serviteurs, il s’avança dans l’assemblée. Le duc de Léry lui serra chaleureusement la main. Il eut la force de faire un baise-main à l’Impératrive. Il fit enfin un signe de tête révérencieux au prince de Saint-Junien. Dans le public, on pouvait apercevoir la princesse de Freshville flanquée du chevalier de Pontecorvo.

« Majesté, Monsieur le Prince, Messieurs,

La tradition, les usages, il n’est rien que je ne saurais révérer autant. Et c’est bien dans le conservatoire éternel et prestigieux de l’Académie édoranaise des arts et des lettres que se trouve le creuset de leur immobile et pourtant si vivace réminiscence. Voilà, messieurs, en fort peu de mots, la raison profonde de mon désir d’entrer ici, dans cette belle et immortelle compagnie, que constitue l’Académie. La tradition, le respect des coutumes, la contemplation des choses immarcescibles, l’admiration muette mais éloquente des éléments insensibles à la marche lente mais inexorable du temps long, il n’est pas de cadre plus convenable que l’Académie pour y parvenir. Et tout cela, messieurs, suppose la fidélité. Fidélité aux choses de l’éternité, certes. Mais au premier rang de celles-là, permettez-moi, puisqu’il est d’usage, ici comme ailleurs, de rendre hommage à ses prédécesseurs illustres, permettez-moi – dis-je – de relever que la fidélité se décline d’abord et avant tout dans la fidélité que l’on doit à la filiation, premièrement, aux amitiés, secondement, aux élections enfin.

La filiation, messieurs, ce n’est point être orgueilleux que de s’y attarder. C’est plutôt de la fausse-modestie que de feindre de l’ignorer. Car la noblesse, messieurs, elle oblige. La noblesse du sang, sans doute, mais aussi et surtout la noblesse des lettres de mon père, le prince Ezéchias qui fut membre, avant moi, de votre illustre compagnie. Le Prince Ezéchias s’était fait admettre parmi vous grâce à la plus belle de ses œuvres, Sur une jeune captive. Vous souffrirez avec plaisir, je crois, de l’entendre encore une fois retentir sous cette coupole triangulaire. Je vous en dispenserai cependant car j’ai pensé, pour vous distraire un peu, à une œuvre plus méconnue, mais qui, à mon humble avis, témoigne d’un plus grand génie, intitulée Le Bouddhinste au coin d’une rue.

« Un maître ivrogne, dans la rue,
Contre une borne se heurta :
Dans l'instant sa colère émue
A la vengeance le porta.
Le voilà d'estoc et de taille
A ferrailler contre le mur.
"Ou bien il a sa cotte de maille,
Disait-il, ou bien il est dur."
En s'escrimant donc de plus belle,
Et pan, et pan, il avançait,
Lorsque sortit une étincelle
De la pierre qu'il agaçait.
Sa valeur en fut constipée :
"Oh ! Oh ! ceci passe le jeu ;
Rengainons vite notre épée :
Le vilain porte une arme à feu."

Vous apprécierez, je le crois, la finesse des images, la délicatesse du sujet, et le grand réalisme classique de ce romantisme exacerbé par une impavidité totale du personnage.

C’est le regretté duc de Clermont, Saturnin-Blaise Bouan de Malenfort, qui illumina votre compagnie de sa présence, en rehaussa le lustre et en assit la renommée dans tout l’Archipel. C’est le duc qui fit admettre le prince Ezéchias. Et c’est un autre homme auquel je voudrais rendre hommage dans le seconde partie de ce discours de réception. »

Comme le voulait l’usage édoranais, usage des bons-vivants, un discours de réception à l’Académie se faisait toujours en deux parties, afin d’intercaler un premier cocktail et la dégustation d’Ysdromel et de petits fours.

L’ensemble des personnes présentes gagna donc la salle de réception …

Le duc s'approcha, serrant la main de l'académicien. 




Toutes mes félicitation, monsieur le marquis! Quelle oeuvre surprenante que voilà!

Soyez le bienvenu. L'Académie ne peut que s'enrichir de votre présence